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Il suit de là, conclura-t-on, qu’il est impossible de bien faire pendant longtemps le métier de critique, puisqu’en s’en acquittant avec succès, on se fait infailliblement connaître et qu’aussitôt qu’on s’est fait connaître, on le fait mal nécessairement.

Ce n’est pas là tout à fait la conséquence que je voudrais qu’on en tirât, et je raisonnerais différemment. Si la visite des auteurs, accompagnée du présent de leur livre, ôte au censeur la liberté de son suffrage, il faut que celui-ci ne reçoive ni la visite ni le présent ; ce ne sont pas quelques mauvaises brochures de moins qui appauvriront sa bibliothèque. Ce n’est pas là tout : il faut qu’il fasse connaître authentiquement quels sont là-dessus ses sentiments et sa façon de penser ; il faut qu’il déclare publiquement que son cœur est fermé à l’intérêt et sa maison aux visites importunes des auteurs…

Ce n’est pas seulement contre l’importunité des auteurs que nous devons nous tenir en garde ; nous avons encore à nous défendre de celle des libraires. Ces messieurs, comme l’on sait, ont intérêt que les livres qu’ils impriment soient bien vendus ; ce qui n’arrive guères quand ils sont mauvais ou qu’ils passent pour tels. Ils savent que dans les provinces, chez les étrangers, à Paris même (car à Paris on est tout aussi provincial qu’en province sur cet article), ils savent que la plupart des lecteurs n’achètent des livres que sur le témoignage avantageux qu’en rendent les écrits périodiques ; et ce témoignage, on nous le demande pour un exemplaire de l’ouvrage…

Il est encore une espèce d’hommes aussi importuns et plus ridicules que ceux dont je viens de parler : ce sont certains auteurs mal appris qui nous regardent tous, nous autres critiques, comme des gens affamés, qu’il est aisé de corrompre à force de nourriture. Ce n’est point par des compliments étudiés qu’ils essaient de gagner notre suffrage ; l’espoir d’un repas leur paraît un moyen plus sûr de nous séduire : le don de leurs ouvrages est toujours précédé, accompagné, suivi d’une invitation de cette espèce, et ils ne nous voient que pour nous offrir une bonne pou-