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buant aux écrits ce qui n’a été dit que par pitié pour l’écrivain, il nous accuse, sans autre examen, de flatterie, de partialité ou d’ignorance…[1].


Une troisième fois, il entre plus avant encore dans le vif de cette question délicate :


On dit souvent, et on a raison de le dire, que, pour bien s’acquitter de l’emploi de censeur littéraire, il faudrait ne connaître personne et être ignoré de tout le monde. Semblable à ces oracles souterrains prononcés par des voix inconnues, les jugements d’un critique ne devraient jamais déceler leur auteur, car, sitôt qu’ils l’ont fait connaître, il devient partial nécessairement, et, à moins de vouloir passer pour impoli ou pour malhonnête homme, il ne lui est presque plus possible d’être équitable.

Ce sont les auteurs qui nous mettent dans cette triste alternative, et c’est une chose qu’il ne faut pas laisser ignorer au public, tant pour nous justifier devant lui de l’espèce d’obligation où nous sommes quelquefois d’être injustes que pour engager ces messieurs à nous laisser cette liberté de suffrage sans laquelle nos jugements ne seront jamais exempts de partialité. Je traite ici une matière délicate, que j’ai déjà touchée légèrement ailleurs, et sur laquelle je sens qu’il est bon d’insister un peu plus aujourd’hui, car le peu que j’en ai dit autrefois n’a pas fait assez d’impression…

Je ne sais si certaines gens me sauront gré de ma franchise : je vais faire connaître une de ces petites misères d’auteurs qui mortifient toujours leur amour-propre, quand elles sont dévoilées ; mais qu’importe, si ce que je dirai tourne à l’avantage du public et à la perfection de nos feuilles ? Voici, n’en doutez point, ce qui n’a que trop, jusqu’ici, empêché l’un et l’autre.

Quand un auteur a fait un livre, les premiers exemplaires qui sortent des mains de l’ouvrier sont pour les faiseurs de critiques. On a grand soin de recommander au libraire d’en mettre de côté

  1. Observations, t. ii, p. 3 et suiv.