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M. le garde des sceaux m’en a porté ses plaintes et ne concluait à rien moins, dans le premier moment, qu’à faire supprimer le journal.

On ignore si M. de La Harpe est digne d’un tel sacrifice ; mais on fera observer au Ministre qu’il est difficile d’anéantir un privilége bien authentique pour donner à M. de La Harpe une satisfaction injuste.

Je ne lui ai pas dissimulé, Monsieur, qu’il était dans le cas de l’être ; mais, par considération pour vous, je l’ai prié de suspendre sa résolution à cet égard. J’ai pensé, d’après la connaissance que j’ai de vos sentiments et de votre manière d’agir, qu’il pourrait se faire que vous ne fussiez pour rien dans la composition de cet article, ni même du journal, de laquelle vous vous reposiez sur le rédacteur.

S’il s’agit de sentiments et de manière d’agir, le défenseur de M. le duc d’Aiguillon, le sauveur de M. le comte de Morangiès, mérite bien peut-être autant d’égards que le libraire Panckoucke. Au surplus, on observe que cet article a été lu tout au long en minute au libraire Panckoucke, qui ne l’a pas désapprouvé, et par conséquent il y est pour quelque chose.

Si ce fait est tel que je le présume, il faut, Monsieur, avant tout, que vous ayez à ne plus employer à cet ouvrage la personne qui a commis la faute, et que vous me donniez l’assurance la plus positive de ne plus lui confier la rédaction de votre journal.

On parle ici de la personne employée comme d’un laquais que l’on renvoie quand on en est mécontent. Il est bien évident qu’un ministre aussi poli et aussi instruit que l’est M. le comte de Vergennes n’aurait pas ainsi traité un homme de lettres. On observera, de plus, que le libraire Panckoucke n’a pas le droit que la lettre lui suppose. Il existe un acte par lequel il est engagé pour toute la durée du privilége. L’homme de lettres que l’on appelle ici une personne, au désagrément qu’entraînait le travail du journal et qu’il prévoyait, n’aurait pas joint l’obligation de n’être qu’un gagiste dépendant des caprices d’un libraire, à moins que le parti ne soit pris de lui enlever sans réserve tous les droits de citoyen au barreau et en littérature, et que les libraires, comme les avocats, ne soient au-dessus des lois et des tribunaux. Cette personne revendiquera ses droits. Elle en avait offert le sacrifice à l’honneur, elle ne le fera jamais à la force.