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ses ennemis, en le voyant armé d’une ressource dont ils lui ont donné trop l’exemple d’abuser, et craignant des représailles, ne lui suscitassent de nouveaux embarras.

Cependant, après y avoir bien réfléchi, il n’a pas cru que cette appréhension dût l’enchaîner. Il s’est décidé à se charger lui-même d’une entreprise qu’on aurait pu réaliser avec des talents bien plus distingués, mais à laquelle on n’aurait pas pu porter des intentions plus pures et un cœur plus droit. Il facilitera par là, soit pour lui-même, soit pour quelque écrivain plus hardi, l’histoire d’un siècle mémorable par la singularité des événements qu’il a déjà produits et de ceux qu’il ne peut manquer de produire encore. Il aura en même temps le plaisir de renouveler l’exemple, presque unique aujourd’hui, d’un journal consacré exclusivement à la décence, à la vérité, dont la satire et la flatterie seront également bannies, où l’on ne se permettra la louange qu’avec une réserve propre à la rendre flatteuse, et la censure qu’avec les égards capables de la faire pardonner.

Ce plan sera pour lui d’une exécution très-facile. Si l’on veut bien y faire attention, on se convaincra qu’il n’a jamais provoqué personne de sa vie : s’il a quelquefois blessé ses ennemis, c’était en se défendant lui-même et après avoir été cruellement outragé. Il n’a paru dans cette triste arène que quand son honneur compromis lui en a fait une nécessité. S’il y a montré alors une chaleur dont les assaillants ont eu quelquefois à se repentir, c’est qu’il pense qu’en tout genre un combat ne doit pas être un jeu, et qu’il faut ou dédaigner ses ennemis, ou les terrasser sans retour, quand une fois on les joint.

Au reste, son ressentiment a toujours fini à l’instant où il a eu la puissance de se venger. Si quelques-uns de ses rivaux avaient des alarmes, ils doivent être bien rassurés. Quoiqu’il y ait quelque différence entre un journal et l’empire de Rome, ou la couronne de France, il croit pouvoir, comme Adrien et Louis XII, dire à ses persécuteurs littéraires : Vous voilà sauvés !

Il est fermement convaincu que rien n’égale la difficulté de composer un bon ouvrage, si ce n’est la facilité de faire un mauvais extrait. Il est persuadé qu’un journaliste n’est pas un juge ;