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Quand un conseiller au parlement s’attribuait, en 1626[1], de son autorité privée, une juridiction universelle sur les sciences ; quand un médecin, en 1631, obtenait, le premier, le privilége de donner par feuilles l’histoire hebdomadaire de son siècle, ni l’un ni l’autre ne comptait ouvrir un chemin à la licence et à l’avidité. Renaudot n’imaginait pas qu’il dût avoir assez d’imitateurs pour que la seule lecture des gazettes devînt un jour un article considérable dans l’emploi du temps d’un homme curieux. Le sage Sallo était bien loin de prévoir qu’un projet utile à la perfection de la littérature en deviendrait le fléau, et que la satire transformerait en poignard le sceptre dont il armait la critique[2].

C’est pourtant ce qui est arrivé. La curiosité d’une part, la paresse et l’économie de l’autre, ont concouru à multiplier à l’infini ces innombrables répertoires périodiques dont l’Europe est aujourd’hui inondée. Il n’y a point de bourgeois qui ne veuille être instruit de ce qui se passe entre les puissances. Il se dédommage du peu d’influence qu’il a sur les grands événements politiques par le plaisir d’en suivre la marche, d’en prévoir les suites, et d’en expliquer les causes comme il lui plaît. La variété des incidents d’une classe plus commune le distrait et l’amuse.

Un autre motif donne le même cours aux annonces littéraires : la fécondité accablante de nos presses ne permet pas de voir, de connaître par soi-même toutes les productions qui en sortent. On aime à être instruit de leur naissance et guidé dans le choix qu’on en peut faire. On se flatte de s’épargner, à peu de frais, en souscrivant pour un journal, l’ennui de lire un gros livre, ou le regret d’en acheter un mauvais.

De là ces compilations sans fin de nouvelles presque toujours hasardées et souvent fausses, de jugements précipités et quelquefois infidèles. De là ces dépôts d’erreurs en tout genre : les uns étrangers et politiques, où la langue, la vérité et la réputation

  1. Linguet tombe ici dans une erreur de date qu’il est à peine besoin de relever.
  2. Grimm écrivait vers la même époque : « Les journaux sont devenus une espèce d’arène ou l’on prostitue sans pudeur et les lettres et ceux qui les cultivent à l’amusement de la sottise et de la malignité. » Ces plaintes étaient générales parmi les écrivains ; nous avons déjà eu occasion de le constater.