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nous annoncent beaucoup de circonspection dans leurs jugements, et ils ne manqueront pas à leur parole ; mais les gens circonspects sont bien sujets à être ennuyeux, et si l’envie de nuire, la mauvaise foi, la satire injuste et grossière, peuvent déshonorer un journaliste, il faut convenir que la circonspection, la réserve, les égards, le rendent bien insipide. N’y aurait-il pas un milieu entre ces deux extrêmes ? »

Et en effet la Gazette littéraire ne put mieux se soutenir que n’avait fait le Journal étranger. « Il y régnait cependant, dit encore Grimm, un excellent esprit ; mais nos oisifs de Paris ne veulent pas s’instruire ; ils ne veulent qu’être au fait de la brochure du jour ; ils veulent aussi voir déchirer de temps en temps quelque homme célèbre, pour l’amusement de leur malignité. Les deux journalistes dont je parle (Arnaud et Suard) ne leur donnaient ni l’un ni l’autre de ces amusements ; le moyen de réussir ? Ajoutez que l’abbé Arnaud et M. Suard sont tous les deux fort aimables mais que l’un est fort dissipé, et l’autre très-paresseux, et vous ne serez pas

    page 52 ; c’est ce qu’un maître dans l’art de la critique, M. Sainte-Beuve, répétait cent ans plus tard : « Un critique ne doit pas avoir trop d’amis, de relations de monde, de ces obligations commandées par les convenances. Sans être précisément des corsaires, comme on l’a dit, nous avons besoin de courir nos bordées au large ; il nous faut nos coudées franches. Jules Janin disait un jour spirituellement à une femme qui, dans une soirée, le mettait en rapport avec une quantité de personnages « Vous allez me faire tant d’amis que vous m’ôterez tout mon esprit. » (Causeries du Lundi, t. II. p. 85.) — En faisant ces citations, je n’entends point excuser le manque de savoir-vivre de certains critiques subalternes, qui prennent la grossièreté pour de la dignité.