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auquel d’ailleurs la Révolution qui approchait préparait un rôle autrement redoutable. Et qui sait si le souvenir des avanies qu’il lui fallut dévorer alors ne fut pas pour quelque chose dans les excès qui ont valu à son nom une si triste célébrité. Qui pourrait dire ce qui se passa dans son âme quand enfin, après les longues années de son enfance, années chargées d’humiliations et d’insultes publiques, il se vit, dans sa jeunesse, un nom redouté à l’égal de celui de Marat ? Écoutez encore La Harpe :


On vient de faire une justice publique de la basse et scandaleuse méchanceté. Le lieutenant de police, à propos de quelqu’une des grossières insolences de l’Année littéraire, a fait venir le petit Fréron à son audience, lui a fait ôter son épée publiquement, en vertu des ordonnances de police qui défendent de la porter, à moins qu’on en ait le droit par sa naissance ou par son état, et l’a traité devant tout le monde comme le dernier des misérables. « Vous êtes, lui a-t-il dit en propres termes, vous et vos coopérateurs, de la vile canaille, que je ferai punir. » On lui a ôté le privilége de son journal, qu’on a laissé par commisération à sa mère. Le journal continuera d’être rédigé par quelques pédants mercenaires ; mais ce malheureux libelle, depuis longtemps, traîne dans la poussière des colléges et des cafés[1].


Et tant d’injures accumulées pendant trente ans sur la tête de son père, qu’il avait vu ne recueillir de son dévouement aux principes conservateurs que les insultes et les moqueries de ceux même qu’il défendait, n’ont-elles pas dû nécessairement retomber sur le cœur du fils ?

  1. Correspondance littéraire, lettre 154.