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d’Alembert ne l’empêchait pas de demander à Malesherbes, quelques mois après, une permission tacite pour imprimer à Lyon (sous la rubrique de Genève) ses Mélanges de Littérature : on lui donnait un censeur encyclopédiste pour la forme, et les épreuves allaient et venaient sous le couvert de l’indulgent directeur de la librairie[1].

La susceptibilité si chatouilleuse de d’Alembert lui attira une autre leçon, mais partie de plus haut encore. Un jour il se trouve insulté par je ne sais quel gazetier qui rédigeait le Courrier du Bas-Rhin, dans les États du roi de Prusse. Vite il le dénonce à Frédéric, avec lequel il était, comme on sait, en grandes relations. Le roi, dans cette circonstance, se montre le vrai philosophe, le vrai citoyen de la société moderne ; il répond à d’Alembert :


Je sais qu’un Français, votre compatriote, barbouille régulièrement par semaine deux feuilles de papier ; je sais qu’on achète ses feuilles et qu’un sot trouve toujours un plus sot pour le lire, mais j’ai bien de la peine à me persuader qu’un écrivain de cette trempe puisse porter préjudice à votre réputation. Ah ! mon bon d’Alembert, si vous étiez roi d’Angleterre, vous essuieriez bien d’autres brocards, que vos très-fidèles sujets vous fourniraient pour exercer votre patience. Si vous saviez quel nombre d’écrits infâmes vos chers compatriotes ont publié contre moi pendant la guerre, vous ririez de ce misérable folliculaire. Je n’ai pas daigné lire tous ces ouvrages de la haine et de l’envie de mes ennemis, et je me suis rappelé cette belle ode d’Horace : Le sage demeure inébranlable.

  1. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. ii, p. 414.