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Madame de Graffigny, qui, dans ses Lettres, nous montre Voltaire sous un jour si nouveau, parle souvent de ces crises, de ces quintes littéraires, qui « altéraient tout-à-fait la douceur charmante de ses mœurs. Voltaire était alors à Cirey, auprès de madame du Châtelet, et ses qualités si vives, si irrésistibles, si aimables même, quand il le voulait, remplissaient de vie et de lumière cette délicieuse retraite, où l’on passait des journées charmantes, et des soirées plus charmantes encore. De temps à autre il y avait gala, représentation, fête à grand orchestre ; on jouait la comédie, la tragédie, la farce, et jusqu’aux marionnettes ; Voltaire donnait la lanterne magique. D’autres fois on lisait les chants inédits de Jeanne, de la trop fameuse Jeanne (et on les lisait dans la chambre mystérieuse des bains) ; puis on faisait du punch, madame du Châtelet chantait de sa voix divine, on riait sans savoir pourquoi, on chantait des canons ; enfin venait le souper, un de ces soupers où la gaieté ne sait ce qu’elle dit ni ce qu’elle fait, et rit sur la pointe d’une aiguille. »

Dans ces jours-là Voltaire est à l’état de pur génie ; cet homme toujours mourant ressuscite : il est léger, brillant, infatigable ; toutes les muses qu’il courtise, tous les démons qui le possèdent, revivent en lui. Mais tous les jours ne sont pas si riants ; la gaieté de Voltaire n’est pas chaque soir si désintéressée et si légère. « Il y a bien des mo-