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la manière seraient perdues depuis longtemps si on n’en retrouvait des traces encore à la fin du Journal des Savants actuel ; petites notes où chaque mot est pesé dans la balance de l’ancienne et scrupuleuse critique, comme dans celle d’un honnête joaillier d’Amsterdam. Cette critique modeste de Bayle, qui est républicaine de Hollande, qui va à pied, qui s’excuse de ses défauts auprès du public sur ce qu’elle a peine à se procurer les livres, qui prie les auteurs de s’empresser un peu de faire venir les exemplaires, ou du moins les curieux de les prêter pour quelques jours, cette critique n’est-elle pas, en effet, si on la compare à la nôtre, et à son éclat, que je ne veux pas lui contester, comme ces millionnaires solides, rivaux et vainqueurs du grand roi, et si simples au port et dans leur comptoir ? D’elle à nous, c’est toute la différence de l’ancien au nouveau notaire, si bien marquée par Balzac dans sa Fleur des pois.

Outre le mérite de l’esprit et de la clarté, ce qui distingue particulièrement Bayle comme critique, son côté vraiment original, c’est sa tolérance universelle à l’égard des livres et des auteurs. Au sein de l’activité multiple du grand siècle, où la discussion et l’enseignement se mêlent sans cesse, la littérature, comme la philosophie et la religion, a ses sectes, ses hérésies : Bayle, parmi ces écoles, ces cabales, conserve une imperturbable