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curiosité des citoyens, faisait lire, dit-on, sur la place publique, un résumé des nouvelles qu’il avait reçues du théâtre de la guerre, et on donnait une petite pièce de monnaie appelée gazetta pour assister à cette lecture, ou pour prendre connaissance de ce qui avait été lu, ou encore, selon d’autres, pour acheter le cahier où ces nouvelles étaient consignées : de là le nom de gazettes appliqué aux feuilles contenant des nouvelles [1]. Voilà la tradition, et il serait presque à désirer qu’elle fût vraie : ne serait-il pas curieux, en effet, que le journal moderne, ce raisonneur bruyant et bavard, cet instrument de discussion et de publicité, soit né, ait bégayé ses premiers mots, dans un pays qui avait fait du silence le dogme fondamental de sa politique ? N’eût-il pas été piquant de voir le gouvernement absolu et mystérieux de Venise, le défiant et soupçonneux conseil des Dix, encourager les premiers essais de ces petites feuilles destinées à devenir les plus formidables machines de guerre qui aient jamais été inventées contre l’autorité des

  1. On donnait plus ordinairement le nom de gazetin aux gazettes manuscrites. — Quelques mauvaises langues voudraient que les gazettes eussent pris leur nom de celui d’un oiseau babillard, la pie, gazza. D’autres, plus forts, le font dériver d’un mot hébreu, corrompu et renversé, izgard, qui signifie nuntius, messager. C’est bien le cas de rappeler l’épigramme fameuse décochée contre Ménage par le chevalier de Cailly :

          Alfana vient d’equus sans doute ;
          Mais il faut convenir aussi
          Qu’en venant de là jusqu’ici,
          Il a bien changé sur la route.