Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 1.djvu/487

Cette page a été validée par deux contributeurs.


BAIL DU CŒUR DE CLORIS.


Par-devant les notaires garde-notes du roi Cupidon, notre sire, dans toute l’étendue de l’empire amoureux, soussignés ; fut présente la belle Cloris, bourgeoise de la ville de Cypre, demeurante rue et proche du Temple d’Adonis, laquelle a, par ces présentes, baillé et délaissé, à titre de loyer, promis faire jouir et garantir de tous troubles et empêchements, à l’amoureux Daphnis, aussi bourgeois de la dite ville de Cypre, demeurant rue et proche du Temple de Vénus, à ce présent et acceptant, un cœur à elle appartenant, par rétrocession qui lui en a été faite par l’inconstant Hilas, son époux, par acte passé par-devant le Dégoût et le Mépris, notaires en la ville de Saint-Léger, sur l’Euripe, duquel acte (fait double entre les parties) n’a été laissé aucune minute, du consentement d’icelles. Le présent bail dudit cœur fait audit Daphnis avec toutes ses appartenances, savoir :


Deux beaux yeux, dont le cœur anime d’un feu pur
L’étincelant crystal, le transparent azur ;
Où des divers objets que forme la nature
On peut voir en petit la naïve peinture ;
Où, tout voilé qu’il est, le cœur, sans y penser,
Se peint fidèlement, et ne peut s’effacer ;
Où l’on peut découvrir, à travers de la flamme,
Un amour recelé jusques au fond d’une âme ;
Enfin, où les amants, curieux de leur sort,
Trouvent toujours écrite ou leur vie ou leur mort,
Lisent le jour fatal aux grandes entreprises,
Et le moment heureux pour en venir aux prises.


Lesquels deux beaux yeux ladite Cloris sera tenue d’arrêter, en sorte qu’ils ne s’égarent plus sur les différents objets, qu’ils veillent sans cesse à la sûreté du cœur, et qu’ils ne servent qu’aux usages que ledit Daphnis en prétend faire. Sera tenue pareillement ladite bailleresse de mettre de bons contrevents en dehors, pour servir de défenses contre les voleurs.