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Et la maîtresse aura beaucoup de raison, de bon sens et de jugement, et les beaux esprits en seront courroucés.

Et le philosophe remarquera que les gens faux doivent être sobres, et que la trop grande réserve de la table annonce assez souvent des mœurs feintes et des âmes doubles.

Et l’ami ira pêcher dans un lac avec sa maîtresse, et il rejettera dans les eaux les petits poissons dont ils n’auront pas besoin pour leur dîner ; ce qui révoltera les gloutons.

Et dans un voyage qu’il fera chez les Valaisans, il boira un peu plus de vin qu’à l’ordinaire ; il sera choqué de l’énorme ampleur de la gorge des jeunes Valaisanes, et les sots en riront.

Et lorsque sa maîtresse lui aura promis un rendez-vous, la violence de son amour lui fera regretter d’être obligé de manquer au rendez-vous pour faire une bonne action, et il fera cependant cette bonne action.

Et l’amie de sa maîtresse deviendra amoureuse de lui, et lui ne sera point amoureux d’elle, quoiqu’il lui donne un baiser sur la main ; ce qui étonnera encore.

Et enfin, sa maîtresse mourra.

Et avant que de mourir elle écrira à son amant que la vertu qui les sépara sur la terre les unira dans le ciel, qu’elle est trop heureuse d’acheter au prix de sa vie le droit de l’aimer toujours sans crime.

Et le mari enverra cette lettre à l’amant.

Et on ne saura jamais ce que l’amant est devenu.

Et les méchants ne se soucieront guère de le savoir.

Et les honnêtes gens le rechercheront, et désireront de connaître un pareil amant.

Et tout le livre sera moral, utile et honnête, puisqu’il prouvera que les pères ne sont point en droit de disposer du cœur de leurs filles sans les consulter, et que, pour faire des mariages heureux, on ne doit pas toujours avoir égard à l’égalité des conditions.

Et que, pourvu qu’on pratique la vertu, il est inutile d’en parler.