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naturel ; et son esprit fera des tours de force jusque dans les choses les plus puériles ; et le sarcasme lui tiendra toujours lieu de raison.

Et tout le talent de l’auteur sera de donner des entorses à la vertu et le croc-en-jambe au bon sens ; et il contemplera toujours les fantômes de son imagination, et ses yeux ne verront jamais la nature.

Et semblable aux empiriques, qui font exprès des blessures pour montrer l’excellence de leur baume, il empoisonnera les âmes pour avoir la gloire de les guérir ; et le poison agira violemment sur l’esprit et le cœur, et l’antidote n’opérera que sur l’esprit, et le poison triomphera.

Et il se vantera d’avoir ouvert un précipice ; et il se croira exempt de tout reproche en disant : Tant pis pour les jeunes filles qui y tomberont, je les ai averties dans ma préface ; et les jeunes filles ne lisent jamais les préfaces.

Et, après que dans son roman il aura dégradé tour-à-tour les mœurs par la philosophie, et la philosophie par les mœurs, dira qu’il faut des romans à un peuple corrompu.

Et il dira sans doute aussi qu’il faut des fripons chez un peuple corrompu.

Et on le laissera tirer la conséquence.

Et il dira encore, pour se justifier d’avoir fait un livre où respire le vice, qu’il vit dans un siècle où il n’est pas possible d’être bon.

Et pour s’excuser, il calomniera l’univers entier.

Et il menacera de son mépris tous ceux qui n’estimeront pas son livre.

Et les gens vertueux considéreront sa folie d’un œil de pitié.

Et on ne l’appellera plus le philosophe, et il sera nommé le plus éloquent des sophistes.

Et on admirera comment, avec une âme pure et honnête, il a pu faire un livre qui ne l’est pas.

Et ceux qui croyaient en lui n’y croiront plus.