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LETTRE I
DE CLIANTE À CÉLIDIE
Offre de service.


Si vous étiez moins parfaite, ou que je fusse moins juste, et si je n’étais aussi sensible que vous êtes belle, je n’oserais prendre la liberté de vous déclarer franchement que je vous aime. Cet aveu, quelque légitime et fidèle qu’il soit, n’a pas laissé de me causer de la peine, dans l’incertitude où je suis de la manière dont vous le recevrez, et dans la crainte que j’ai qu’il ne passe pour une faiblesse en un grand courage. Mais j’ai surmonté ce dernier en apprenant que les conquérants les plus fiers ont soumis leur sceptre, leur couronne, leur empire et leur victoire aux pieds d’une beauté qu’ils ont plus estimée que tout cela. C’est sans regret qu’à leur exemple j’offre à votre mérite un comté, deux marquisats, quelque gouvernement et cent mille livres de rente, encore avec mon cœur et ma liberté, qui me sont beaucoup plus chers que le reste. Il n’y a que le premier soupçon qui me peut chagriner, de douter de quel œil vous verrez ce que je vous écris. Mais comme j’y ai pensé longtemps avant que de vous le dire, j’ai eu aussi celui de me résoudre à souffrir toutes les cruautés et les mépris dont vous êtes capable. Il est donc inutile d’user de rigueur en mon endroit, puisque je vous déclare que je suis l’homme du monde le plus constant ; et pourvu que vous relâchiez un peu de cette fierté qui vous est naturelle, vous ajouterez à vos charmes le seul agrément qui leur manque pour être la plus aimable personne de l’Europe.

De tu mirar, mi fortuna.
D’un seul de tes regards dépend tout mon bonheur.