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les aisez en font des recueils et les acheptent, d’autres se contentent de les lire en payant certain droit pour cette lecture, et bref, dans la plus sérieuse compagnie, on dira : Que dit-on de nouveau ? qu’apprenez-vous de bon ? comment vont les affaires ? avez-vous vu la Gazette d’aujourd’huy ? parle t’elle de cy ou de cela ? dit-elle que le Roy revient bien tost ? touche t’elle quelque chose d’Angleterre ? et mesmes si l’on met en avant quelque nouvelle, il ne faut pour la rejetter que dire : Cela n’est point dans la Gazette, et par conséquent cela est faux, et s’il estoit vray la Gazette n’auroit pas manqué d’en parler.

Mais il est aisé de juger de la cause de cette haute faveur ; il ne faut point de lunette pour descouvrir le secret de cette intrigue ; un aveugle y mordroit s’il y vouloit mettre son nés ; et dés que l’on voit Flatterie avec Gazette, on ne doute plus qu’elle doit estre bien en cour, et que les cadets de la faveur la doivent adorer comme celle qui peut faire leur fortune. Aussi voit on continuellement chez elle des troupes de ces jeunes gens, qui viennent mandier sa plume, et la prier d’enluminer leurs belles actions avec un peu d’ancre, et Gazette, qui fait son meilleur revenu de ce commerce, s’en sert avec un secret si merveilleux, qu’il n’y a point de carmin n’y d’outremer qui puissent mieux faire esclatter une peinture. S’il s’est passé quelque occasion, elle en fait une sanglante deffaite ; si dans une attaque quelque pagnotte en voulant reculer a receu de celuy qui le commande quelque coup de cane sur la teste, pourvu qu’il contente Mademoiselle Gazette ce sera l’estramasson d’un sabre des ennemis qui luy aura fait cette blessure ; tel à qui la lancette d’un chirurgien aura percé quelque faveur de Venus se dira blessé d’un coup de picque ou d’estocade, et quelqu’autre qui pendant cette affaire estoit à Paris, dans un lieu où véritablement il faisoit un peu chaud, sera mis au rang des premiers attaquants et de ceux qui ont le mieux payé de leurs personnes ; enfin tout va selon le caprice de cette rusée la plus haute vertu se treuve estouffée sous le silence, à faute de la bonneter, et la plus grande lascheté passera pour genereuse, pourveu qu’elle passe par la Gazette.

Voilà ce qui la fait maintenir en authorité, ce qui luy donne la