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» La mise en vente du journal le Commerce, qui n’a pas pu trouver d’acheteurs sur la mise à prix de cent mille francs, est le prétexte de l’article de la Presse ; son motif évident est à peine dissimulé, c’est le dépit que lui causent les efforts intelligents et vigoureux faits à cette heure pour modifier les conditions du journalisme et pour lui faire atteindre son suprême progrès. La nature humaine est toujours la même ; la Presse est persuadée qu’elle a posé ses colonnes d’Hercule, et que le monde finit là où la fatigue l’a forcée de s’arrêter. Cette prétention n’est pas nouvelle ; les choses qui finissent ont toujours protesté contre les choses qui commencent. Lorsque Shakspeare ouvrit par ses admirables tragédies l’ère dramatique de l’Angleterre, l’honorable corporation des montreurs d’ours de Londres adressa une pétition à la reine Elisabeth pour demander l’interdiction des œuvres de l’auteur de Macbeth et de Richard III, en alléguant qu’elles pervertissaient l’art et compromettaient la morale publique. La Presse ne signale encore que l’immoralité de l’entreprise des nouveaux journaux ; la suppression viendra plus tard.

» Et non seulement M. le directeur de la Presse a perdu l’intelligence du mécanisme et de l’industrie des journaux, hélas ! il a perdu encore la mémoire. Le croiriez-vous ? lui qui dit de la combinaison de l’Époque pis que pendre, il en est pourtant l’inventeur ! Oui, M. de Girardin a inventé la combinaison du journal l’Époque ; seulement il l’a inventée comme Salomon de Caux inventa la machine à vapeur, dont on n’a pu se servir que deux cents ans après, lorsque Watt et Fulton l’eurent reconstituée et perfectionnée.

» Sur quoi repose, en effet, l’idée fondamentale de l’Époque ? Sur ceci, qui est fort simple : dispenser les lecteurs de recourir aux journaux spéciaux, et leur donner à la fois non seulement le journal politique de leur opinion, mais encore le journal spécial de leur profession : à l’avocat, le journal des tribunaux ; au négociant, le journal du commerce ; au militaire, le journal de l’armée ; au marin, le journal de la flotte ; au prêtre,