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appelés à concourir à cette œuvre de civilisation et de progrès.

Mais, à entendre les apôtres de la jeune presse, les conséquences de la réforme qu’ils apportaient ne devaient pas se borner à des résultats matériels et financiers ; ils s’en promettaient un effet moral bien autrement important. En élargissant son action, la presse, disait-on, devait se nationaliser davantage ; transportée dans un milieu plus vaste, sa pensée devait s’agrandir comme sa mission. Si des journaux s’adressant à deux ou trois mille lecteurs pouvaient impunément se faire les instruments de quelques coteries politiques, ou de quelques ambitions individuelles, il n’en serait plus de même quand l’adhésion sympathique de 20 ou 30 mille abonnés serait pour eux une condition d’existence.

Ces promesses ont-elles été tenues, ces espérances réalisés ? Pour rallier et satisfaire des masses beaucoup plus nombreuses d’auditeurs, les journaux placèrent-ils leur confiance dans la force des sympathies politiques groupées autour d’eux ? Hélas ! non ; loin de là, ils abdiquèrent de plus en plus leur ancienne autorité sur les esprits. Devenus tributaires de la foule, ils eurent plus de souci de l’amuser que de l’instruire. L’indifférence croissante du public pour des débats sans vigueur et sans portée, pour des luttes mesquines de portefeuilles, suscita et entretint la vogue des romans-feuilletons, et la presse, semblable à la sultane des Mille et une nuits, ne prolongea plus sa vie qu’à charge de satisfaire chaque jour, sans l’épuiser, la curiosité d’un maître exigeant, par les fictions brillantes qui sont en possession de charmer son ennui.

Tout ce qui, jusque là, avait plus ou moins constitué, ce qui semblait devoir constituer l’essence du