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immense. La vie publique, les affaires, et jusqu’aux joies et aux douleurs de la famille, tout cela était suspendu par la péripétie d’un chapitre. Vous dire le nombre de femmes qui se sont passionnées pour ces héros chimériques, cela ferait tout un roman aussi volumineux que les deux autres. Et pourtant, enlevez à d’Artagnan et à ses compagnons le manteau retroussé, le panache flottant et la rapière toujours hors du fourreau, vous ne trouverez la-dessous rien de vrai, rien de vivant, en un mot rien d’humain.

Mais ce succès, c’était à prix d’or que les journaux devaient l’acheter. Dans ces beaux temps du roman-feuilleton, les faiseurs en vogue rançonnaient les directeurs de journaux comme les artistes en renom les directeurs de théâtre. Disons tout de suite que leurs actions ont singulièrement baissé, tandis que celles des danseuses et des chanteurs suivent une progression ascendante qui s’arrêtera on ne sait où. Nous avons dit à quel prix avait été payé le Juif errant. Le plus maigre feuilleton coûtait à la Presse 300 fr. Dumas faisait avec MM. Girardin et Véron un traité qui lui assurait 64 000 fr. par an. Au Siècle, il s’engageait à fournir cent mille lignes par an à raison de un franc cinquante centimes la ligne. Et ce n’est pas assez, ces mêmes romans, il vendait à M. Troupenas, l’ancien marchand de musique, le droit de les éditer en sous-œuvre et en tout petit format. M. Troupenas avait compté sur un nombre illimité de volumes en coupant la ligne du journal en deux Mais Dumas, déjà très fort en dialogue au point de vue de l’arithmétique, parvint à réduire l’alinéa au monosyllabe par la création savante du taciturne Grimaud. Voici un échantillon de ce dialogue, que Tacite eût envié. Le Mousquetaire interroge son valet :