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nouvelles où il s’était placé. Il chercha donc, à côté des lecteurs politiques, de nouveaux lecteurs, des lecteurs littéraires, si je puis m’exprimer ainsi, et la tentative eut un plein succès. Le feuilleton revêtit alors une forme toute nouvelle. Jusque là la critique littéraire et artistique en avait fait à peu près tous les frais ; il devint bientôt toute ou presque toute la littérature française. Ce n’étaient plus « ces lignes timides qui serpentaient modestement au dessous des formidables colonnes politiques, dont elles étaient l’accompagnement futile, la broderie élégante. » Tout au contraire, ce fut le feuilleton qui, nouvel Atlas, porta la politique sur ses puissantes épaules. C’est lui qui a fait pénétrer le journal au foyer des plus modestes familles, et lui a créé tout un monde nouveau d’abonnés ; c’est lui qui, ouvrant ainsi à la presse de nouveaux et immenses débouchés, a facilité cette alliance de la publicité politique avec la publicité industrielle dont nous parlions tout à l’heure, et, lui assurant ainsi une nouvelle source de revenus, a rendu possible le bon marché de l’abonnement[1].

Pour donner une idée de la frénésie du lecteur auquel on émiettait chaque matin une becquée d’intrigue amoureuse, il suffira de dire qu’un roman fort court d’Alexandre Dumas, le Capitaine Paul, procura au Siècle cinq mille abonnés en moins de trois semaines. Dans la banlieue, on accourait en foule au devant des porteurs. Alexandre Dumas a été la pierre angulaire du Siècle, la providence du roman-feuilleton. La sensation produite à Paris par la publication des Trois Mousquetaires et de Vingt ans après fut

  1. Cet envahissement des journaux dans le domaine des lettres était pressenti depuis long-temps ; il y a quelque cent cinquante ans que l’abbé Longuerue a dit : « Théophraste Renaudot nous a coupé le cou avec ses gazettes. »