Page:Hatin - Histoire du journal en France.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette épigramme à deux tranchants dont l’énergie ingénieuse peut faire excuser le cynisme :

Si l’empereur faisait un p…,
Geoffroy dirait qu’il sent la rose,
Et le Sénat aspirerait
À l’honneur de prouver la chose.

Nous ne savons si c’était chez Geoffroy conviction ou calcul. Les grandes choses que Napoléon accomplissait à cette époque étaient bien de nature à exciter l’admiration ; mais peut-être aussi l’habile critique, qui attaquait tant de personnes et tant de choses, voulait-il mettre ses attaques à l’abri du panégyrique du maître ; peut-être ne fut-ce qu’à cette condition que le Journal des Débats put tout penser et tout dire contre les hommes et les idées de l’école révolutionnaire.

Il suffisait d’ailleurs du succès du journal pour lui susciter des envieux, quand bien même la plume acérée de Geofiroy n’eût pas ameuté contre lui tout l’arrière-ban de la littérature. Un déluge de brochures, de pamphlets, d’épigrammes, et même de poèmes, semblait menacer d’une ruine prochaine ce « colosse aux pieds d’argile ». Mais le colosse demeura ferme sur sa base.

Quoi qu’il en soit, le feuilleton de Geoffroy, ce compte-rendu sans façon, vif, alerte, moqueur, ingénieux, savant, fut de plus en plus goûté, et le Journal des Débats eut bientôt 32 000 abonnés dans cette grande France que lui faisait Napoléon.

« Cependant la position du Journal des Débats, après ces premiers et immenses succès, était singulière et difficile. Sans doute il avait pour lui le suffrage de l’opinion publique ; le grand mouvement des