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lutionnaire ; il se mit à attaquer Voltaire corps à corps, et la nation applaudit l’ennemi vivant de Voltaire mort. C’est là certes un exemple inouï de réaction littéraire : attaquer Voltaire si tôt ! Voltaire, le dieu de Paris, le dieu de la France ! Il faut dire aussi que, si le champion des idées sociales avait la main ferme et l’œil sûr, la situation où il se trouvait était admirable. Toutes les idées justes, tous les principes sains et raisonnables, avaient été effacés d’une manière si complète, qu’on en avait presque perdu jusqu’à la mémoire. Geoffroy semblait donc inventer quand il ne faisait que se souvenir. Et puis on se passionnait pour ces batailles littéraires dans lesquelles on dépensait le reste de cette ardeur que les commotions civiles avaient imprimée aux esprits. La politique faisant silence dans les journaux, il fallait bien que l’activité intellectuelle débordât sur d’autres matières. Disons-le aussi, il fallait bien que la France, réduite à ce grand silence que vous savez, se sentit un immense besoin de s’entendre, même à demi-mot, pour s’être mise simultanément à lire un journal qui parlait plus souvent de prose et de vers que de gouvernement et de batailles, plus souvent de Racine et de Boileau que de Napoléon et de l’empereur d’Autriche.

Il faut cependant reconnaître que Geoffroy se montrait souvent injuste et partial dans ses critiques, et que ses louanges furent plus d’une fois très suspectes de vénalité. Mais, comme nous venons de le dire, la société inoccupée des salons de Paris s’amusait de ces furieux combats de plume, et pardonnait au feuilletoniste sa méchanceté, parce que les traits en étaient divertissants.

On a encore reproché à Geoffroy sa continuelle adulation pour Napoléon, et tout le monde connaît