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francs, le journal ou plutôt le titre du Journal des Débats et Décrets du pouvoir législatif des actes du gouvernement, petite feuille sans portée qui se bornait au compte-rendu des travaux de nos diverses assemblées. C’était un corps mort qu’il s’agissait de galvaniser, et la chose n’était pas facile. M. Bertin comprit fort bien que, pour réussir, le journal qu’il projetait ne devait ressembler en rien ni aux journaux de l’ancien régime, ni aux journaux de la révolution.

L’ancien régime, vaniteux, tout-puissant, protégé par la Bastille, se contentait du Mercure de France, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. Le lieutenant de police et la favorite usaient du Mercure de France à volonté et le donnaient à qui bon leur semblait. Marmontel y imprimait ses cours, et les beaux esprits de la cour y déposaient, sous un transparent incognito, leurs logogriphes et leurs charades ; cela suffisait. C’est que, nous l’avons déjà dit, la liberté de la presse n’était pas encore passée dans le journal en ce temps-là. Voilà ce que M. Bertin avait bien compris lorsqu’il entreprit le Journal des Débats.

Mais, d’autre part, le journal tel que l’avait fait la révolution française était impossible sous un gouvernement fort, intelligent, et qui tenait à être craint et respecté. Quand bien même le maître l’eût permis, la nation française ne l’eût pas voulu de long-temps. « La liberté de la presse, a dit un journaliste, s’était dévorée par ses propres excès. On frémit encore à se rappeler le langage vicieux, les barbarismes sanglants, les lâches dénonciations, les vœux atroces et infâmes de ces feuilles de proscription et de mort, que les écrivains terroristes jetaient chaque matin aux coupe-têtes et aux tricoteuses des faubourgs. La presse, cette toute-puissance, qui a besoin d’être si respectable