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prière du soir à l’usage des français libres.

« Je vous rends grâce, ô mon Dieu ! de ce que vous avez daigné me préserver, pendant cette journée, des mandats d’arrêt et des interrogatoires du bureau central, des visites domiciliaires, des poignards des Jacobins, des coups de sabre de la nouvelle légion de police, des embûches de Satan-Merlin, et de l’amitié du Directoire, dont je vous prie de me rendre indigne de plus en plus.

» C’est vous, Seigneur, que je dois remercier de ce que je n’ai pas trouvé ce soir le scellé mis sur la porte de ma chambre ; de ce que mon bonnet de nuit et mes matelas ne sont point encore en réquisition ; de ce que ma femme n’a pas demandé le divorce, pour le bon plaisir de mes voisins ; de ce que je n’ai pas trouvé dans ma chambre deux ou trois garnisaires chargés de faire vendre mes chenets et mes pincettes, pour percevoir l’impót mis sur ma cheminée.

» Continuez, Seigneur, de me garantir des petites rigueurs de la liberté, des bastilles de Limodin, des pièges de Malo, et du rasoir de Merlin. Éloignez de moi la mitraille de Barras, l’épée de Talot, la flamberge de Bentabolle-Ajax, les pistolets de Chénier, et particulièrement ses ouvrages en prose et en vers ; Laclos et ses Liaisons dangereuses, Mme de Staël et ses Influences, le petit Riouffe et ses brochures. Préservez-moi des visites de l’armée de Sambre-et-Meuse et du passage des aigles de l’Italie.

» Je vous prie également, Seigneur, d’avoir pitié des ennemis de votre nom, de dérouiller l’âme de l’abbé Sieyes, d’ouvrir les petits yeux de Lareveillère-Lépaux, d’avoir pitié surtout de quelques misérables théophilanthropes encroûtés de péchés et couverts d’une triple lèpre révolutionnaire. Livrez leur cœur aux serres du remords ; mais daignez calmer le désordre de leur ima-