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pour idiotie », qu’il dit, « sans bouffer deux fois par semaine ; un mois de consigne ; quarante-huit heures à être pendu ficelé ; qu’on le foute dedans tout de suite, sans rien à boulotter ; garrottez-le pour lui mettre dans la tête que l’armée n’a pas besoin de crétins pareils. On t’apprendra à lire les journaux, attends voir ! » Et, pendant que j’étais à la boîte, il se passait des choses extraordinaires à la caserne. Le colonel avait expressément défendu aux soldats de lire n’importe quoi, même la Gazette officielle de Prague, et à la cantine ils avaient l’ordre de ne plus emballer le fromage et les saucisses dans du papier de journal. Mais c’est justement ça qui a eu un effet épatant : figurez-vous que tous les soldats se sont mis à lire tout le temps, et notre régiment est devenu le plus instruit et le plus intelligent. On lisait tous les journaux possibles et dans chaque compagnie, il y avait des types qui faisaient des vers et des chansons pour se payer la tête du colonel. Et, chaque fois qu’il arrivait une affaire au régiment, il se trouvait un bon copain qui s’arrangeait pour la passer aux journaux sous le titre Les Martyrs de la Caserne. Mais ce n’est pas tout. On s’est mis aussi à écrire aux députés tchèques à Vienne, pour leur demander de nous protéger et ils ont fait à la Chambre des Députés interpellation sur interpellation. On y disait toujours que notre colonel était pire qu’une bête féroce. Une fois, un ministre a envoyé chez nous une commission d’enquête, et un certain François Hentschel de Hluboka, qui avait écrit à un député que le colonel l’avait giflé à l’exercice, s’en est tiré avec deux ans de prison. La commission partie, le colonel a fait aligner le régiment entier