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qui est arrivé après, je n’en sais rien non plus. Je sais seulement, d’après le procès-verbal des deux agents qui m’ont amené ici, que je me suis saoulé, conduit comme une brute, que j’ai battu une dame, coupé, avec mon canif, un chapeau qui n’était pas à moi et que j’avais pris au vestiaire, que j’ai mis en fuite un orchestre de dames, que j’ai accusé le garçon de m’avoir volé vingt couronnes, que j’ai cassé le marbre de la table à laquelle j’étais assis, et que j’ai craché d’abord dans la figure d’un monsieur de la table voisine, et puis dans sa tasse de café. C’est tout, au moins je ne me rappelle pas qu’on m’accuse encore d’autre chose. Et, croyez-moi, je suis un homme d’ordre, un homme comme il faut et qui ne pense qu’à sa famille. Qu’est-ce que vous dites de cela ? Je ne vous fais pourtant pas l’impression d’être quelqu’un de dangereux pour la paix publique ?

— Est-ce qu’il vous a fallu beaucoup de temps pour casser le marbre, ou bien l’avez-vous cassé d’un seul coup ? demanda Chvéïk au lieu de répondre à la question de l’homme comme il faut.

— D’un seul coup, avoua celui-ci.

— Alors, vous êtes perdu, dit Chvéïk, pensif. On vous prouvera que vous avez préparé le coup en vous entraînant tous les jours. Et le café à ce monsieur, est-ce que c’était un café nature ou bien un café au rhum ?

Et sans attendre la réponse, Chvéïk continua :

— Si c’était un café au rhum, votre affaire est plus mauvaise, parce que les dommages-intérêts augmenteront alors. Au tribunal, on tient compte de la moindre chose, on additionne tout, parce qu’on cherche toujours à vous mettre au moins un crime sur le dos.