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Le lendemain le lieutenant était rompu de fatigue, comme au sortir d’un noce finie par des coups de poing. Il n’arrivait pas à se débarrasser de son cauchemar. Exténué par son rêve, il s’assoupit un peu vers le matin, quand Chvéïk frappa pour demander à quelle heure le lieutenant désirait être réveillé.

— À la porte, abruti, c’est abominable !

Il se leva et Chvéïk lui apporta son café en l’interloquant d’une nouvelle question :

— Vous ne voudrez pas des fois, mon lieutenant, que je vous procure un autre chien ? Je vous déclare avec obéissance…

— Écoutez, Chvéïk, j’avais envie de vous déférer devant le conseil de guerre, mais je vois bien que vous seriez acquitté, parce que ces messieurs n’ont encore jamais eu affaire à un crétin de votre envergure. Regardez-vous bien là dans la glace, n’êtes-vous pas dégoûté de vous-même devant un visage aussi stupide que ça ? Vous êtes le phénomène naturel le plus renversant que j’aie jamais vu. Allons, Chvéïk, mais dites la vérité : est-ce que votre tête, elle vous plaît ?

— Je vous déclare avec obéissance, mon lieutenant, qu’elle ne me plaît pas du tout : elle a l’air dans cette glace d’une boule pointue. Ça ne doit pas être une glace biseautée. Une fois, ils avaient mis dans la devanture du marchand de thé Stanek une glace convexe et quand on s’y regardait on avait envie de vomir. On y avait la bouche de travers, la tête ressemblait à une poubelle, on avait le ventre d’un chanoine après une beuverie en règle, bref, on se voyait défiguré à se suicider sur place. Une fois, le gouverneur est passé par cette