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de Habsbourg, la réputation méritée d’un idiot notoire. Il en avait la façon de s’exprimer et la considérable provision de candeur. Lors d’un banquet au casino militaire, tandis qu’on parlait du poète Schiller, le colonel Kraus von Zillergut s’avisa de dire tout à coup : « Figurez-vous, messieurs, que j’ai vu hier une charrue à vapeur, tirée par une locomotive. Et pas par une locomotive seulement, mais par deux. Je vois la fumée, je me rapproche et voilà une locomotive d’un côté et une de l’autre. Voyons, Messieurs, n’y a-t-il pas de quoi rire, deux locomotives, alors qu’une seule suffirait simplement ? »

Il garda le silence un moment, puis conclut :

— Une fois que vous n’avez plus de benzine, l’automobile s’arrête. C’est ce que j’ai vu hier encore. Et il y a des imbéciles qui vous parlent de la force d’inertie, Messieurs. Pas de benzine, pas de mouvement. Voyons, Messieurs, n’y a-t-il pas de quoi rire ?

Sa bêtise ne l’empêchait pas d’être pieux. Il avait un autel domestique dans son appartement. Il allait souvent se confesser et communier à St-Ignace, et depuis la déclaration de guerre, il priait quotidiennement pour la victoire des armes autrichiennes et allemandes. Il mêlait sa foi chrétienne avec les chimères de l’hégémonie germanique. Dans son esprit, Dieu avait l’obligation d’aider les Empires centraux à conquérir les biens et les territoires de leurs ennemis.

Il devenait fou de colère chaque fois qu’il lisait dans les journaux que les Autrichiens avaient fait des prisonniers et que ceux-ci avaient été transportés à l’intérieur de l’Empire.

— On se donne un mal inutile en faisant des prisonniers.