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qu’il n’a cessé que quand on l’a jeté, dans un sac imperméable, du haut du pont Élisabeth, dans la Vlatva. Et ce ne sont pas les accusés qui manquaient. Il y avait aussi l’écartèlement et le supplice du pal, c’est-à-dire qu’on vous enfonçait un pieu dans le corps, ce qui se faisait d’habitude aux environs du Musée national. Ça fait que celui qu’on foutait seulement dans une oubliette où on le faisait mourir de faim, se sentait renaître.

— Aujourd’hui, reprit Chvéïk, aller en prison n’est qu’une blague, de la petite bière. Pas d’écartèlement, pas de brodequins d’Espagne. Bien au contraire, nous avons nos lits, notre table, nous sommes bien au large, on nous sert de la soupe, du pain, nous avons notre pot à l’eau et, pour les lieux d’aisance, nous sommes tout arrivés. En tout on voit le progrès. Il n’y a que le bureau du commissaire d’instruction, qui est un peu loin, c’est vrai ; il faut traverser trois corridors et monter un étage, mais, par contre, les couloirs sont propres et pleins de monde. Ici on amène quelqu’un d’un côté, un autre de l’autre, et on en voit de toutes les couleurs ! jeunes, vieux et de tous les sexes. À voir ça, on a du plaisir, on ne se sent pas tout seul. Et tout ça va sans se faire de bile, sans avoir peur qu’on ne leur dise au bureau : « Nous avons décidé que demain vous serez écartelé ou brûlé, à votre choix. » J’estime qu’en un moment pareil le choix serait pour beaucoup d’entre nous, plutôt embarrassant et qu’on en resterait baba. Il faut le dire, notre situation à nous autres prisonniers d’aujourd’hui n’est pas la même du tout. On ne veut que notre bien.

Chvéïk venait d’achever cet éloge du système pénitentiaire