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et recru de fatigue. Dans des circonstances pareilles, il laissait en plan les bagages de son maître, et ne sauvait que son bien à lui.

S’il lui arrivait d’être fait prisonnier dans la tranchée sans son officier, le tampon ne manquait jamais de s’approprier les effets de son ancien maître et il les traînait partout.

J’ai vu un tampon qui marchait, en compagnie des soldats faits prisonniers en Russie, de Dubno à Darnice, en passant par Kijev. En plus de son havresac à lui, il avait celui de son ancien maître, cinq petites valises, deux couvertures et un oreiller, et portait un gros paquet sur la tête. Il se plaignait que les cosaques lui eussent dérobé deux autres valises.

Je n’oublierai jamais la silhouette de cet homme, vivant fourgon de déménagement, qui avait traversé avec ce fardeau presque toute l’Ukraine. Je ne saurai jamais comment il a eu la force de faire ainsi des centaines de kilomètres, avant d’être enfin délesté par la mort à Tachkent. Il y périt de fièvre typhoïde et ses bagages lui servirent au moins de lit de mort.

Aujourd’hui, aux endroits les plus reculés de la République Tchécoslovaque, on trouve des anciens tampons toujours prêts à se vanter de leur conduite héroïque dans la grande guerre. Chacun d’eux a pris d’assaut les positions de Sokol, de Dubno, de Nich, de la Piave et, à l’en croire, chacun d’eux était un Napoléon.

— Alors, j’ai dit à notre colonel de téléphoner à l’état-major qu’on pouvait y aller…

La plupart du temps, ils étaient de convictions réactionnaires, et détestés des soldats. Il y avait parmi eux des dénonciateurs dont tout le plaisir