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n’importe où, c’est bien fait pour eux. Il n’est pas permis d’être crétin à ce point-là.

Ce furent les dernières paroles par lesquelles il se mêla à la conversation. Depuis lors, il ne faisait que répéter toutes les cinq minutes :

— Je suis innocent, je suis innocent !

Ces paroles, la porte de la Direction de la Police les a entendues, le panier à salade qui transportera le pauvre bougre au tribunal en retentira aussi, et c’est elles sur les lèvres qu’il franchira le seuil de son cachot.

Chvéïk, après avoir recueilli ces aveux, crut bon d’éclairer ses complices sur leur situation désespérée :

— Ce qui nous arrive à nous tous est évidemment plutôt grave, ainsi entreprit-il de les consoler. Vous vous trompez tous si vous croyez en sortir. La police veille, elle est là, justement, pour nous punir à cause de ce qui sort de nos gueules. Si les temps sont tellement graves qu’on est obligé de tuer les archiducs, personne ne peut s’étonner d’être conduit au poste. Tout ça est nécessaire, il faut du chambard, et il en faut pour faire de la réclame à l’archiduc avant son enterrement. Et tant mieux, si on est en nombre. Plus on sera nombreux, plus on rigolera, c’est moi qui vous le dis. Quand je faisais mon service militaire, il arrivait souvent que la moitié de ma compagnie passait son temps à la boîte. Et combien d’innocents payaient pour les autres ! Je ne vous parle pas seulement du militaire, je vous parle aussi du civil. Je me rappelle qu’une fois une bonne femme a été condamnée parce qu’on lui reprochait d’avoir étranglé ses nouveau-nés, deux jumeaux. Elle jurait qu’elle n’avait pas pu étrangler des jumeaux,