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l’effet salutaire de faire passer aux soldats l’ennui que leur inspirait le morne et poussiéreux champ de manœuvre avec une allée de pruniers à l’horizon et, malheureusement beaucoup moins loin, une rangée de latrines qui exhalaient leur odeur, destinée sans doute à remplacer le parfum des encensoirs.

Les soldats rigolaient ferme. Les officiers groupés autour du colonel se racontaient des petites histoires piquantes. De temps en temps on entendait un des hommes dire :

— Passe-moi une bouffée.

Et la fumée des cigarettes montait vers le ciel comme la fumée d’un bûcher rituel. Comme le colonel avait allumé un cigare, tous les sous-officiers l’imitèrent.

Enfin le commandement strident de Zum Gebet[1] perça l’air poussiéreux, et tout le carré d’uniformes gris plia le genou devant la coupe de sport du lieutenant Witinger.

Le calice était rempli à ras bord, et le geste énergique qu’eut le feldkurat pour le vider suscita dans l’opinion publique une réaction exprimée par la phrase suivante :

— Comme il y est allé pour s’envoyer son pinard !

Le feldkurat refit encore par deux fois son geste si suggestif. Par deux fois, aussi, le commandement « À la prière ! » retentit aux oreilles des soldats, et la musique entonna enfin « Dieu protège notre Empereur… » La messe était finie.

— Ramassez-moi tous ces trous, dit le feldkurat à Chvéïk en montrant du doigt l’autel pliant, la monstrance, le ciboire et le « calice » ; il s’agit de rendre les objets prêtés.

  1. À la prière.