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l’avoir complètement désarticulé, les pieds du feldkurat étant retenus dans la banquette.

Lui riait de leurs angoisses :

— Vous ne réussirez pas à me démettre la carcasse, messieurs, dit-il ; je suis trop costaud pour ça.

On le traîna tant bien que mal à travers le vestibule dans l’escalier jusqu’à son logis où on le jeta sur le canapé comme un sac de chiffons.

Le feldkurat refusa énergiquement de payer le chauffeur, étant donné qu’il n’avait pas commandé d’auto. Il fallut plus d’un quart d’heure pour lui expliquer qu’il ne s’agissait point d’une auto, mais d’un simple fiacre.

Il fit remarquer alors qu’il ne prenait jamais de fiacre à un seul cheval, comme on prétendait le lui faire croire, mais toujours une voiture à deux chevaux.

— Vous voulez me rouler, disait-il en clignant un œil malin à ses deux porteurs ; vous savez bien que nous sommes allés tous les trois à pied.

Mais, dans un accès de générosité subite, il jeta son porte-monnaie au cocher.

— Prends tout, lui cria-t-il, ich kann bezahlen[1]. Je ne suis pas à un sou près.

Il aurait mieux fait de dire qu’il n’était pas à 36 kreutzer près, car le porte-monnaie ne contenait que cette somme. Par bonheur, tout en le menaçant de « lui casser la gueule », le cocher résolut de le fouiller à fond.

— Ben, gifle-moi, si tu veux, lui répondait le feldkurat, je n’en mourrai pas, va ! Je t’autorise à aller jusqu’à cinq.

Dans une poche du gilet du feldkurat le cocher trouva un billet de dix couronnes. Il s’en saisit et

  1. Je peux payer.