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— Tant mieux ! Au troisième point : Est-ce que vous buvez de l’eau-de-vie ?

— Je vous déclare avec obéissance, monsieur l’aumônier, que je ne bois jamais d’eau-de-vie, sauf du rhum.

— De mieux en mieux. Maintenant, regardez-moi cette gourde d’ordonnance. Il est le tampon du lieutenant Feldhuber qui me l’a prêté pour aujourd’hui. Ce coco-là ne boit rien de rien, il est abstinent et voilà pourquoi il s’en va au front avec le bataillon qui part après-demain. Il s’en va au front, parce que moi, je n’ai pas besoin d’un gaillard comme ça. Ce n’est pas un tampon, ça, c’est une vache. Les vaches, ça ne boit que de l’eau et ça beugle comme un veau.

— Tu es abstinent, toi ? dit Chvéïk en s’adressant à la malheureuse ordonnance, et tu n’en as pas honte ? Tu mériterais qu’on te casse la gueule.

Le feldkurat qui pendant son entretien avec Chvéïk n’avait cessé de regarder les gardiens de ce dernier, se tourna maintenant vers eux. Ils vacillaient et faisaient des efforts désespérés pour se tenir droits en s’appuyant contre leurs fusils.

— Vous vous êtes… soûlés, dit le feldkurat, et vous… vous… êtes soûlés en service commandé, vous n’y couperez pas… À la boîte ! Chvéïk, prenez leurs fusils, vous les conduirez à la cuisine et vous les surveillerez jusqu’à l’arrivée de la patrouille. Je m’en vais téléphoner à la caserne.

Et c’est ainsi que les paroles de Napoléon : « Sur le champ de bataille, la situation peut changer de face de minute en minute », se trouvèrent une fois de plus entièrement confirmées.

Pas plus tôt que le matin, les deux soldats avaient mené Chvéïk sous leur escorte et craignaient