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moments il sortait de son somme, frappait de la main sur la table et bégayait : « Ça ne va pas, non, ça ne va pas du tout, du tout ! » Derrière le billard, trois habituées de la maison interpellaient un jeune cheminot : « Dis donc, beau blond, paie-nous un vermouth, quoi ? » Plus loin, deux individus se querellaient sur l’arrestation d’une fille du nom de Marianne. L’un prétendait avoir vu de ses yeux les flics l’emmener au poste, l’autre affirmait qu’il « l’avait vue qu’elle s’en allait coucher avec un soldat à l’hôtel Vals ».

Près de la porte était installé un soldat en compagnie de quelques civils, les entretenant de sa blessure en Serbie. Il tenait son bras en écharpe, et ses poches regorgeaient des cigarettes qu’on lui avait données. Il répétait qu’il ne pouvait plus boire, mais un vieux monsieur chauve l’exhortait sans cesse à boire encore un coup. « Mais buvez donc, voyons, buvez, mon petit soldat ! qui sait si on se retrouvera encore une fois ? Voulez-vous que je fasse jouer pour vous une chanson ? Est-ce que vous aimez : L’enfant est devenu orphelin ? »

Aussitôt le violon et l’harmonica firent entendre les premiers accords de la chanson que le vieux monsieur chauve mettait au-dessus de toutes les autres. Les larmes lui vinrent aux yeux et il chanta d’une voix tremblante d’émotion : À l’âge de raison, le pauv’enfant demanda où était sa maman…

Des voix s’élevèrent de l’autre table :

— Oh, là là ! – La barbe ! – Ben, vrai, en v’là une goualante ! – Il en a du vice, le vieux ! – C’est pas fini encore ?

Et pour faire taire l’« orchestre », la table ennemie