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individu ne compte pas. Tué au front ou pendu en ville, c’est kif-kif.

— Écoute voir, est-ce qu’il n’y aurait pas, des fois, de la politique là-dessous ? À la façon dont la perche prononça ce dernier mot, on sentait bien qu’elle commençait à se prendre d’affection pour le prétendu condamné à mort.

— Je te crois qu’il y en a ! rigola Chvéïk.

— Et n’es-tu pas du parti socialiste tchèque ?

La prudence dont s’écartait la perche s’imposa maintenant au pot à tabac. Aussi intervint-il énergiquement :

— Tout ça ne nous regarde pas, bon Dieu ! dit-il. Tu vois bien qu’on nous reluque de tous les côtés. Si, au moins, on pouvait ôter les baïonnettes dans un passage pour que ça ne soit pas si remarquant ! Dis donc, tu ne foutras pas le camp ? On aurait des embêtements, tu penses bien. Est-ce que j’ai pas raison, Toine ? ajouta-t-il en s’adressant à la perche.

— C’est pourtant vrai, les baïonnettes, on pourrait bien les ôter. C’est un des nôtres, tout de même, riposta la perche.

Son scepticisme évaporé fit place à une compassion qui emplit son âme. Ils trouvèrent un passage où les soldats enlevèrent leurs baïonnettes. Le pot à tabac permit à Chvéïk de marcher à côté de lui.

— Tu as bien envie de fumer, hein ? dit-il ; est-ce qu’on te permettra de fumer avant ?… Il entendait « avant de te pendre », mais n’acheva pas sa phrase, sachant que ça serait une faute de tact.

Ils fumèrent alors tous les trois et les gardiens de Chvéïk se mirent à l’entretenir de leurs familles,