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Et il avait pensé qu’il boufferait ça tout seul. Nous autres, c’était la ceinture. L’un après l’autre, on cherchait à le taper, mais il ne voulait rien entendre. Il disait qu’il n’avait que quinze jours à tirer et qu’il avait juste de quoi ne pas s’esquinter l’estomac avec les saletés qu’on nous donnait à manger, à nous autres. Il nous a tout de même proposé de nous laisser sa portion de choux et de pommes de terre pourries, pour se la partager ou pour la manger chacun son tour. J’ai oublié de vous dire que c’était un type très distingué : il ne voulait jamais se servir de notre seau, il attendait toujours la promenade du matin pour aller aux latrines. Il était tellement gâté qu’il avait apporté même ses papiers hygiéniques. Son offre, bien sûr, on lui a dit qu’on s’en foutait et nous avons continué à crever d’envie un jour, deux jours, trois jours. Lui, il ne s’en faisait pas. Il bouffait tranquillement son jambon, mettait du beurre sur son pain, épluchait ses œufs, bref, vivait comme un prince. Les cigarettes qu’il fumait n’étaient pas à compter et figurez-vous qu’il ne nous a pas laissé tirer une seule bouffée ! Il nous refusait ça en disant qu’à nous autres il était défendu de fumer et que, si on le voyait nous donner des cigarettes, ça lui ferait du tort. Comme je vous disais tout à l’heure, on a supporté ça pendant trois jours. Puis, la nuit du troisième au quatrième jour, on a fait le coup. Le matin il se réveille – j’ai oublié de vous dire qu’avant de se bourrer l’estomac, il priait toujours le bon Dieu, – donc, il se réveille, fait sa prière et se met à chercher ses sacs. Il les a trouvés, bien entendu ; seulement, ils étaient aplatis comme des pruneaux secs. Il s’est mis à crier qu’on l’avait volé