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alourdies sous le poids des cadavres de civils. Une photographie particulièrement réussie montrait toute une famille serbe pendue au complet : le petit garçon, le père et la mère. Deux soldats, baïonnette au canon, gardaient l’arbre aux pendus, et un officier, fièrement campé au premier plan, fumait une cigarette. Dans le fond on apercevait une cuisine de campagne d’où montait la fumée de la soupe.

— Eh bien ! Chvéïk, quelle nouvelle avec vous ? interrogea Bernis après avoir plié et rangé la dépêche. Qu’est-ce que vous avez donc commis ? Voulez-vous tout avouer, ou bien aimez-vous mieux attendre qu’on dresse votre acte d’accusation ? Ça ne peut pas continuer comme ça. N’oubliez pas que vous n’avez pas à faire à un Tribunal composé d’andouilles civiles. Chez nous, c’est un tribunal militaire, K. u. K. Militaergericht[1]. Votre seul espoir de salut, votre seul moyen d’échapper à une punition sévère, mais juste, c’est de tout dire de votre plein gré.

Dans des cas souvent répétés, où le dossier d’un accusé venait à disparaître d’une façon ou de l’autre, Bernis avait une méthode spéciale. Il épiait toujours minutieusement le détenu, cherchant à lire dans son attitude et sur son visage les raisons pour lesquelles il se trouvait sous le verrou.

Sa perspicacité et sa connaissance des hommes étaient si profondes qu’un tzigane, soldat envoyé à la prison de la place de Prague pour y expier le vol de quelques effets de lingerie (il était occupé au magasin militaire), finit par être accusé de crimes politiques. D’après l’acte d’accusation, il aurait entretenu plusieurs soldats dans une taverne

  1. Tribunal militaire royal et impérial.