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de Français vers le mystère sauvage du continent vierge. Paysans de la Normandie, de la Beauce, du Maine, de l’Anjou, de la Touraine, de la Saintonge, du Poitier, de l’Aunis et de l’Angoumois, ils avaient la soif des mondes ténébreux et infinis, et leur âme était remplie de ces curiosités tragiques qui entraînent vers les perfides inconnus. Au nombre de quelques milliers à peine, ils avaient parcouru, en moins d’un siècle, les larges solitudes qui s’étendent de la baie des Chaleurs à la tête des Grands Lacs. Ils avaient bu à toutes les sources des fleuves, franchi le Mississipi, atteint la Louisiane. Leurs yeux profonds s’ouvraient avec volupté sur l’effroi des dangers héroïques, et leurs corps de Titans frissonnaient sans cesse dans l’attente des déchirures et des saignées. Ce qu’on appelle la mort violente était pour eux la plus naturelle, et, comme le disait si bien un moraliste, « leur dernière douleur était aussi leur dernière curiosité ».

« Ainsi se continua l’aventure, glorieuse et brutale, jusqu’à l’épopée de Montcalm et de Lévis. Sous la domination anglaise, la race était plongée dans une amertume sans fond ; mais ses possibilités aventureuses s’élargissaient de toute la largeur de son immense blessure : l’incertitude de l’avenir, les alternatives