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La locomotive halète. On démarre pour entrer dans la vaste campagne. Claire, appuyée sur l’épaule de son compagnon, regarde passer les fermes blanches. Elle se repaît des paysages que font danser les trépidations du rapide. Ce jour de juillet, bleu et léger, lui inspire une volupté virginale et confuse. Le sol est dardé de rayons tièdes et lavés. De la terre montent les vibrations de la chaleur silencieuse. Pas un nuage, pas une buée au-dessus des rives, et la lumière parfaite exagère les détails des panoramas qui dévalent dans le galop des wagons noirs.

Marcel Faure songe encore à Bonséjour. L’histoire du Yankee, se taillant une ville dans l’étoffe de la province française, lui crée un problème qu’il s’efforce de résoudre.

« Warren a du génie, se dit-il, mais il est un envahisseur, tout de même. Il nous colonise. On nous colonise depuis deux cents ans. Nous sommes l’objet de dépossessions que nous ne pourrions empêcher sans nous affamer. En fait, l’invasion du capital étranger nous est profitable : elle nous permet d’exister. Au sens brut du mot, exister est humiliant : vivre est mieux. Vivre exempts de tout servage, en puisant au fond de nous-mêmes notre impérissable vigueur de Français, vivre, professeurs