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sous les “nordais” rudes et sauvages, parfois calme, sous une blanche robe de brume immobile, comme une femme qui s’est endormie le cœur et la chair satisfaits, il fait bon s’y attarder : elle réconcilie avec la vie.

— Sais-tu qui a fait Bonséjour ? dit Marcel.

— Je l’ignore ; mais il avait du goût à revendre, car il a enfanté un chef-d’œuvre.

— Voici l’histoire telle qu’on me l’a racontée : il y a dix-huit ans, un jeune Américain, John Warren, vint se reposer dans un chalet bâti au milieu des arbres, au bord de la rivière que tu vois d’ici. Sportsman de naissance et chasseur convaincu, il parcourut toutes les forêts voisines ; il parvint même à poser sa botte entre les deux bois d’un chevreuil, que des guides avaient eu la délicatesse de tuer au profit de sa vanité. Cependant, l’Américain s’éprit de notre terre et de nos gens. Il s’attacha à la forêt, qu’il voulut exploiter, et à l’une de nos petites Canadiennes, qu’il voulut épouser. Millionnaire et don Juan, il s’empara de ces deux amours et engendra Bonséjour. Ces immenses pulperies sont à lui ; elles alimentent les imprimeries de la Nouvelle-Angleterre et font vivre cinq mille familles.

— Ce jeune Warren était un phénomène.

— Il est meilleur chasseur que nous tous.