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Cette ville, ces clochers, cette rivière, ces usines dressées comme des citadelles…

Le train vient de stopper sur une éminence. Au bas, s’étend Bonséjour, une cité fraîche en couleurs comme une fille saine. Ses maisons, alignées à la moderne, présentent de longues barres de nuances gaies, entrecoupées de rangées d’érables et de jardinets. Au milieu, très calme, très paresseuse, une rivière large d’un arpent déroule ses eaux bleues. Parmi les joncs flexibles et les nénuphars, elle s’est fait un lit de douceur et de rêve, et ses membres ondoyants s’y allongent langoureusement au soleil. On dirait une élastique bête neptunienne à queue de couleuvre se vautrant dans sa limpide somnolence.

Quinze ans de vie ont suffi à Bonséjour pour enfanter, abriter, allaiter et vêtir vingt mille habitants. Tant de fois engrossée en si peu d’années, elle a gardé imperturbablement sa physionomie de bon accueil, le sourire des bonheurs inassouvis et pleins de promesses, que voilent à peine les rideaux ajourés des fenêtres chantantes. On se plaît à la regarder longtemps, pendant ces mois parfumés, où, selon l’expression de Balzac « l’amour bat des ailes à plein ciel ». Parfois baignée dans la lumière des beaux crépuscules, parfois frissonnante