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les demi-civilisés

L’automobile atteignit bientôt le minuscule village de Stoneham, couché au pied des monts, près de ses ponts rustiques, sous lesquels chantent des cascades. Là, le chemin oblique vers Tewkesbury. Nous nous y engageâmes. Le soir proche adoucissait déjà les tons orange, or, mauve, rouge et violet des arbres. Un voile diaphane tombait lentement sur les sommets lointains, un voile tissé de poussières infiniment subtiles et tout imprégnées de lumière. Plus près, les hauteurs se couronnaient d’un vert flou ; plus près encore, un vert dur et froid que réchauffaient, par plaques, les couleurs vives des feuilles mortes. Au-dessus de ces nuances, dans le ciel occidental, un fauve incendie, un fleuve de feu, un salut triomphal du jour à la nuit qui venait.

À l’entrée des bois de Tewkesbury, il faisait déjà brun. Nous descendîmes de voiture pour cueillir des rameaux d’érable aux feuilles écarlates. Dorothée marchait à mes côtés et touchait mon épaule de sa chevelure. Je la regardais et la trouvais infiniment désirable. Dans la douceur du sous-bois noyé de clairs-obscurs, il me sembla que cette femme s’incorporait à la nature et devenait un composé de toutes les vies végétales, animales et humaines que je sentais autour de moi.

C’était la première fois que je me trouvais seul avec elle. Je la pris toute dans mes bras et l’étreignis si fort