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les demi-civilisés

— Peu importe ! L’affaire est mauvaise. J’aiderais n’importe quel type calé qui me proposerait une entreprise pratique, avec des bénéfices au bout et la garantie d’un remboursement du capital et des intérêts. Une revue pour aider un garçon qui écrit ? Tous les écrivains que j’ai connus n’avaient pas le sou. Un métier pour coucher dehors.

Puis brusquement :

— Laissons ça pour aujourd’hui. Demain est là. J’ai juste le temps d’aller chez Bouvier, qui m’attend.

— Je ne l’aime guère, votre Thomas Bouvier, dit Dorothée. Je n’ai jamais compris, personne ne comprend votre amitié pour ce fainéant débauché.

— Il ne faut pas croire les bavardages des gens.

— Je crois ce que je constate par moi-même. Je l’ai vu assez souvent ivre, drogué ou en compagnie de femmes de rien. Je le soupçonne d’être cocaïnomane.

— Je connais ses vices, mais nous avons trop de souvenirs communs pour que je l’abandonne. Il a été mon compagnon de misère, dans ma dure vie de marin. Par tous les temps, la pluie, le vent, le froid, la neige, nous transportions de la marchandise depuis Terre-Neuve jusqu’à Québec et Montréal, dans un petit bateau de trente-cinq pieds de longueur. C’est là qu’on a mangé de la grosse mer et de la vache enragée. Bouvier était de plusieurs années plus jeune que moi, presque un enfant. Il me semblait que je lui devais protection pour son endurance et sa bonne humeur dans le voya-