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les demi-civilisés

Plus nettement que jamais, je me rendis compte que j’étais un rebelle. Pourquoi rebelle ? Parce que je refusais d’abdiquer le moi, ce moi qui prenait des proportions infinies à mesure que je comptais, méprisant ou apitoyé, les misères intellectuelles du monde qui m’entourait. La révolte avait commencé le jour où, secouant le joug du cloître, dépouillant le misérable habit qui couvrait mon cœur d’homme, ma vie d’homme, comme d’une cuirasse de contraintes, jetant à mes pieds des éclats rompus des humilités feintes, des vertus frelatées, des soumissions irraisonnées, tirant, sanglants, de ma gorge, de ma poitrine et de mes reins, les trois dards des vœux monastiques, j’avais ouvert devant moi, face à l’horizon immense et libre, les lourds panneaux de l’ombre et crié de toutes mes forces : « Enfin, je vais marcher dans ta lumière, soleil de la pensée, soleil de la nature et soleil de l’amour ! »

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De la maison des Meunier, on apercevait, ce matin-là, le gazon et les fleurs des plaines d’Abraham. Des grives, sautillant dans l’herbe, tiraient de la terre