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les demi-civilisés

librement dans la rue, comme si tu cherchais quelque joie de vivre. Tu protestes ? Tu aimes la Liberté, je suppose ? Eh ! bien, ta Liberté, va voir ce que mes enfant ont fait d’elle, sur la colline voisine.

Je me détournai avec dégoût de ce vieux qui, sous tant de déjections et de puanteurs, jouissait comme une courtisane dans ses coussins et ses parfums.

J’atteignis bientôt un monticule autour duquel des lépreux vociféraient, menaçant le ciel de leurs poings couverts d’une peau écailleuse et jaune comme celle du hareng fumé.

Sur une arête de roc, je vis un gibet auquel pendait attachée par les pieds, une femme divinement belle. Des forcenés lui criblaient la poitrine de coups de fouet, tandis que des gamins sordides se balançaient comme en des escarpolettes, au bout de sa puissante chevelure, qui pendait jusqu’à terre et le long de laquelle coulaient des ruisseaux de sang.

Je reconnus cette femme.

C’était la Liberté qu’on avait pendue !

Pris d’une rage surnaturelle et sentant sourdre, du fond de moi-même, des forces surhumaines, je fonçai sur les assassins, me frayai un passage parmi eux, à coups de poings, et coupai la corde qui lacérait l’éternelle martyre.

Celle-ci vivait encore et souriait malgré ses blessures.

Je la pris par la main et l’entraînai dans ce pays maudit que je venais de traverser.