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les demi-civilisés

— Qu’avez-vous à rire ?

— Je parie que vous n’êtes pas du pays ou que vous êtes fou. Dans notre langage, les paroles prononcées par la femme que vous avez insultée signifient : « Je vous déteste, idiot, comme je vous déteste ! »

Relâché immédiatement comme étranger, je pris une course folle pour sortir au plus vite de ce lieu où il était impossible à un gaffeur comme moi d’éviter la prison.

À quelque distance de là, un excentrique gambadait et ricanait en hurlant :

— Que je suis content, tonnerre, que je suis content ! Une veine inespérée, mon vieux. Imagine que mon père, ma mère, ma femme et mes enfants viennent d’être assassinés par mon meilleur ami.

Affolé, je pressai le pas et arrivai à une seconde porte que je franchis avec un soupir de soulagement.

Le spectacle qui s’offrit à moi n’avait rien de rassurant. Des maisons sombres, des rues étroites comme des pistes de vaches, des enfants livides, remuant, par groupes cagneux, parmi les odeurs méphitiques.

Comme mon œil s’accoutumait au clair-obscur, j’aperçus cet écriteau :

« Ici, il est défendu de penser sous peine de prison ».

Au bas de ces mots, la rubrique suivante :

« La seule pensée permise est distribuée en flacons de huit onces, par les vendeurs autorisés de la corporation. »

L’âme débordante de pitié et de curiosité, je poursui-