Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
les demi-civilisés

rent qu’une poignée, quelques milliers à peine, et pourtant ils explorèrent tout le nord de l’Amérique, où vivent aujourd’hui plus de cent millions d’hommes. De la baie d’Hudson jusqu’à la Louisiane, hardis, musclés, hirsutes, on les voyait partout. C’étaient de beaux et forts hommes, faits par les plus belles femmes du monde.

Me voici parmi les descendants de ce peuple que je trouve terriblement domestiqué. Une fois la conquête faite par les Anglais et les sauvages exterminés par les vices de l’Europe, nos blancs, vaincus, ignorants et rudes, nullement préparés au repos et à la discipline, n’eurent rien à faire qu’à se grouper en petits clans bourgeois, cancaniers, pour organiser la vie commune. On eût dit des fauves domptés, parqués en des jardins zoologiques, bien logés, bien nourris, pour devenir l’objet de curiosité des autres nations.

J’agitais ces pensées quand on me toucha l’épaule. Je me tournai vivement et me trouvai face à face avec Lucien Joly, ancien camarade de collège. Il accompagnait une brune, fort belle.

— Permets que je te présente, dit-il, à mademoiselle Dorothée Meunier.

Celle-ci leva vers moi son franc regard. J’en fus ému. Nous nous dirigeâmes tous trois vers l’extrémité ouest de la terrasse. Dorothée marchait au milieu, parlant lentement, d’une voix musicale et prenante. Elle disait