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les demi-civilisés

des corps brûlés d’ardeurs charnelles, les bracelets aux pointes de fer sur des épidermes douloureux ; enfin, le retour de ma pensée à l’humanité, à la terre ferme. La belle et bonne terre où l’on ne vient qu’une fois et où l’on veut mordre au fruit de la vie avant de boire au calice de la mort.

Je sortis de ces diverses épreuves à ma majorité. Pauvre, naïf, désaxé, je rentrais dans le monde avec beaucoup d’illusion et de confiance en moi-même. J’étais nu, sans parent et sans fortune. Ma mère, morte depuis quelques années, n’avait laissé d’autre héritage que le souvenir de sa pauvreté et de son courage. La tranquillité du cloître, l’éloignement des distractions mondaines, l’habitude des méditations quotidiennes et l’étude approfondie des langues, des arts classiques, des philosophies, avaient, en revanche, muni mon esprit de mille connaissances qui me rassuraient sur mon avenir.

Fait miraculeux, cette longue réclusion n’avait pas entamé ma personnalité. J’étais resté moi-même, intégralement. La discipline claustrale n’avait tout au plus réglé que mes mouvements extérieurs. Malgré moi, malgré mes remords, malgré ma loyauté envers des chefs que j’estimais, ma raison, ma pensée et mes sens réagissaient. Dans cette lutte des influences contre mon caractère, celui-ci fut la pointe d’acier sur la pointe de plomb.