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les demi-civilisés

n’aurait pas eu de sens si cette femme n’avait pas existé. Je ne désirais rien de son corps, car je m’en faisais une idole.

— Si seulement, me disais-je, je pouvais baiser le bord de sa robe.

Un soir que je l’attendais et que le pied d’un réverbère me cachait à sa vue, elle vint à passer en compagnie d’une fillette à qui elle disait :

— Tiens, le petit Max n’est pas là ? A-t-il l’air sot avec son air « habitant » et « ses » pantalons fripés !

À ce moment, elle m’aperçut et poussa un petit cri :

— Ah…

J’étais rouge de honte. Elle s’éloigna, étouffant un rire, et je m’enfuis comme un chien blessé.

Ce fut le premier grand chagrin de ma vie. Je pouvais tout souffrir, mais non pas le ridicule, surtout devant Maria, pour qui j’aurais voulu revêtir toutes les élégances. Je n’en dormis pas de la nuit. Toutes les rancœurs de ma brève vie me remontaient ensemble dans la gorge. Au collège, j’avais été le pauvre des pauvres, habillé d’étoffes communes et rapiécées, reprisant moi-même mes bas grossiers, portant un casque trop petit sur une tête énorme, souffrant du dédain silencieux des enfants riches, subissant les différences sociales conservées par quelques maîtres serviles. Mes succès, mes progrès intellectuels mêmes ne m’épargnaient pas les lazzis de ces bouffons.